décembre 02, 2005

Au Village de l'Hypocrisie

Août 2003 : en Lituanie, ce salaud de Bertrand Cantat assassine froidement Marie Trintignant. Le peuple français n'en appelle pas au silence. Les gens ne se cachent pas derrière une fausse volonté de respect envers la famille de la défunte. Au contraire, tout le monde veut savoir. Et tout le monde crie qu'il veut savoir. Parce que les personnages impliqués font partie de leur vie. Parce qu'ils aiment autant la musique de l'assassin que le jeu de la victime.

Fin 2004 : Guy Cloutier est arrêté et accusé de pédophilie en série. Le scénario, quoique différent dans la situation, est reproduit au Québec. Comme en France, tout le monde veut savoir. Mais personne n'ose le dire. Alors que l'encre coule abondamment sur le sujet, le peuple scrute à la loupe magazines, journaux et émissions télévisées afin de trouver qui sont les fameuses victimes. "J'ai entendu qu'un journal avait révélé les initiales N.S.". "Pas vrai ?!" "J'ai vu la couleur de ses cheveux, je te jure que c'était elle !"

Tout le monde est en haleine. Mais publiquement, dans la rue, en entrevue, dans les journaux, ce sont des Québécois timides qui pronent avec un détachement certain et beaucoup de sarcasme "qu'on devrait laisser les victimes tranquilles, vivre leurs souffrances". Quelle hypocrisie ! Au Québec, personne ne semble connaître la signification de ce mot. Mais tout le monde s'en sert. Se montrer au grand jour avec de bonnes intentions, des paroles exemplaires, et en cachette faire le contraire, c'est ça de l'hypocrisie.

Les Québécois sont de pafaits hypocrites.

décembre 01, 2005

Carroll pour béquille

Un livre qui fait mal. Sénécal n'a d'autre choix que de construire sa fable contemporaine sur un classique de littérature aux effluves joyeuses et enfantines. Autrement, le lecteur tomberait dans un désespoir total après un chapitre et demi.

L'histoire se situe rapidement. Elle prend forme, de manière efficace, en présentant au lecteur les personnages de façon elliptique. Ils arrivent lentement, repartent rapidement. La mauvaise situation dans laquelle se fout Aliss empire de chapitre en chapitre.

Là où la fable enfantine est essentielle, c'est dans le cru des événements. Nous sommes tous conscients que des centaines de jeunes vivent réellement des histoires semblables (drogues, prostitution forcée, violence de rue), mais on dirait que pour en parler franchement et aussi ouvertement que dans Aliss, il est essentiel de prendre béquille ailleurs. De se donner une raison de visiter ces troublantes vérités.

Le caractère psychologique de la fugueuse est vaguement délimité, on a peine à croire à ses raisons. Un peu maladroitement, on sent que Sénécal avait une bonne idée mais qu'elle débutait l'histoire un peu drastiquement. Il fallait rendre le personnage (physiquement et mentalement) à cet endroit avant de débuter là où il avait imaginé son monde. Donc les premières pages passent rapidement, et les détails sont franchement manquants. Le lecteur doit se fier à l'auteur pour croire que la jeune fille a une motivation profonde.

Outre ces détails, je dirais que la lecture de Aliss est entrainante et violente. Ça fait mal, on n'en sort pas indeme. À lire de manière intéressée, mais pour un lecteur nouveau dans le monde de Sénécal, un livre à éviter. Sur le Seuil est bien mieux réussi, les personnages beaucoup mieux cernés.